La Mostra de Venise vient d’ouvrir ses portes. Si les projecteurs se concentrent sur les films, les stars et les actualités comme la grève des scénaristes et acteurs américains, il est fascinant de se rappeler qu’en près d’un siècle, le festival a traversé des événements marquants. Des débuts marqués par des influences fascistes aux manifestations féministes. Du scandale provoqué par Extase en 1934 au discours percutant de Jane Campion dénonçant l’absence de réalisatrices en 2017. Du soft-power italien aux coups de pression américains. Des nazis aux punks. Des yachts aux migrants. Le tout sur fond de rivalités avec Cannes. Les films primés sont souvent excellents. Mais ce sont les histoires que racontent la Mostra qui en font un festival à nul autre pareil. Et surtout, un objet culturel unique, dont le glamour sert bien souvent à dissimuler les récits politiques et artistiques les plus inattendus.
Les origines et la création de la Mostra de Venise
Une idée visionnaire : Giuseppe Volpi et Antonio Maraini
En 1932, dans une Europe encore marquée par les séquelles de la Première Guerre mondiale et les montées des idéologies autoritaires, Giuseppe Volpi di Misurata, industriel influent, et Antonio Maraini, sculpteur renommé, eurent une idée visionnaire. Pourquoi ne pas créer un festival international du cinéma dans le cadre déjà prestigieux de la Biennale de Venise ? Leur ambition ? Faire rayonner l'Italie tout en positionnant le cinéma comme un art à part entière. Ce projet audacieux s'inscrivait dans une époque où le septième art cherchait encore sa légitimité culturelle.
La première édition de 1932 : entre glamour et propagande
La toute première édition de la Mostra s'est tenue en août 1932 sur la terrasse de l'Hôtel Excelsior au Lido de Venise. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, aucun prix n'était décerné à l'époque. Les films étaient simplement "montrés" (d'où le nom Mostra, qui signifie exposition), sans compétition officielle. Parmi les œuvres projetées cette année-là, on compte le classique "Docteur Jekyll et M. Hyde" de Rouben Mamoulian, une véritable prouesse technique pour l'époque.
Mais attention, derrière les paillettes se cachait une réalité politique bien plus sombre. Le régime fasciste italien, dirigé par Mussolini, voyait dans cet événement une opportunité unique d'utiliser le cinéma comme outil de propagande culturelle. Cela explique pourquoi des films italiens y avaient une place privilégiée.
Le rôle du fascisme dans les débuts du festival
La Mostra n'aurait probablement jamais vu le jour sans le soutien actif du gouvernement fasciste. Cependant, il serait réducteur de résumer ses débuts à une simple entreprise propagandiste. Si la politique jouait un rôle indéniable, la Mostra a également permis au cinéma mondial d'avoir une plateforme inédite pour briller.
Saviez-vous ? L'une des projections les plus controversées des débuts fut Extase (1934), qui osait représenter pour la première fois un orgasme féminin au cinéma. Bien que ce film ait marqué les esprits, il provoqua un tollé parmi les spectateurs conservateurs et devint immédiatement synonyme de scandale.
Pourtant, malgré ces controverses – ou peut-être grâce à elles – la Mostra s'est imposée dès ses débuts comme un espace unique où glamour et enjeux politiques cohabitaient sous les projecteurs internationaux.

L'évolution de la Mostra : des années d'or aux crises
Les années 40 : une pause forcée et une reprise controversée
Après un début éclatant dans les années 30, la Mostra de Venise n'échappa pas aux secousses historiques de la Seconde Guerre mondiale. En 1943, le festival fut interrompu, reflet direct des bouleversements mondiaux. Cependant, dès 1946, il renaît de ses cendres avec une édition marquée par l'absence de compétition officielle. Cette relance visait à promouvoir un esprit de réconciliation internationale. Mais soyons honnêtes : la neutralité affichée masquait mal les tensions politiques persistantes.
Un exemple marquant ? La projection du film "Roma città aperta" de Roberto Rossellini en 1946. Ce chef-d'œuvre du néoréalisme italien fit sensation et symbolisa la résilience culturelle italienne face au chaos.
Les années 60 et 70 : une scène pour les cinémas du monde
Les décennies suivantes furent celles de l'expérimentation. Dans les années 60, alors que le monde vivait sous le souffle des mouvements sociaux et culturels, la Mostra s'imposa comme une plateforme incontournable pour les cinéastes émergents. Le festival introduisit des œuvres audacieuses venues d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine – une véritable révolution dans un environnement encore très eurocentré.
1968 fut une année charnière : en plein tumulte mondial, le festival connut des protestations qui dénonçaient son manque d'ouverture politique. Cette crise aboutit à plusieurs réformes dans les années suivantes, notamment l'introduction d'une sélection plus diversifiée.
L'un des moments forts ? La présentation en 1975 du film "Amarcord" de Federico Fellini, qui remporta le Lion d'Or. Ce triomphe confirmait non seulement le génie du réalisateur mais aussi le rôle central de la Mostra dans la reconnaissance des talents italiens.
Les années 2000 : modernisation et nouvelles sections
Avec l'arrivée du nouveau millénaire, Venise se modernise sans renier son héritage. Sous l'impulsion de Marco Müller (directeur artistique entre 2004 et 2011), le festival introduit des sections innovantes comme Orizzonti, dédiée aux formes narratives expérimentales. Une manière astucieuse de répondre à Cannes tout en affirmant sa singularité.
Les années 2000 sont également marquées par un retour en force des films hollywoodiens grâce à des premières mondiales très médiatisées. Qui peut oublier l'ouverture en fanfare avec "Gravity" d'Alfonso Cuarón en 2013 ? Un choix qui mêlait technologie avant-gardiste et prestige artistique.
Mais attention : derrière ce glamour assumé se cachent toujours des débats sur la place réservée aux cinémas indépendants ou émergents. La Mostra est-elle encore fidèle à sa mission originelle ? Une question qui reste ouverte...
Moments marquants et scandales de la Mostra
Le premier scandale : ‘Extase’ et l'orgasme féminin en 1934
Ah, 1934, une époque où le simple fait de montrer une femme jouissant pouvait mettre le feu aux poudres. Avec Extase de Gustav Machatý, la Mostra a goûté à son premier grand scandale. Le film, qui osait représenter un orgasme féminin – une première au cinéma – a provoqué des tollés parmi les conservateurs. Mais soyons honnêtes : ce "scandale" était une bénédiction pour la Mostra, qui s'est immédiatement affirmée comme un lieu où le cinéma n'avait pas peur de briser les tabous.
Les polémiques politiques : de Mussolini à Jane Campion
La Mostra et la politique, une relation aussi ancienne que tumultueuse. Dès ses débuts, le festival fut un outil de propagande pour le régime fasciste italien. Mais ce lien avec la politique ne s'est jamais vraiment dissipé. En 2003, le Lion d'Or attribué à The Return d'Andreï Zviaguintsev a suscité des critiques pour une supposée complaisance envers le régime de Poutine. Et que dire du discours percutant de Jane Campion en 2014, où elle dénonçait avec force le sexisme dans l'industrie cinématographique ? Elle avait déclaré, avec son mordant habituel, qu'elle "se sentait seule comme réalisatrice au sommet d'une pyramide pleine d'hommes".
Les stars et leurs coups d'éclat : de Greta Garbo à Lady Gaga
Greta Garbo, cette icône insaisissable, a marqué les débuts du festival par son refus légendaire de se plier aux exigences médiatiques. Elle arrivait incognito, fuyant les projecteurs tout en incarnant paradoxalement le glamour absolu. Puis il y a Lady Gaga, qui, en 2018, a littéralement volé la vedette en arrivant sur le tapis rouge dans une robe spectaculaire ornée de plumes roses pour A Star Is Born. Entre ces deux figures emblématiques s'étend un océan d'anecdotes où se mêlent paillettes et drames personnels.
Fait fascinant: En 2023, malgré les controverses autour du mouvement #MeToo, les films de Roman Polanski et Woody Allen ont été projetés hors compétition. Un choix qui a suscité des protestations véhémentes mais aussi confirmé l'attachement du festival à la liberté artistique – ou peut-être simplement à la provocation ?
De Lolita de Kubrick aux théories provocantes de Pasolini, chaque édition semble offrir son lot de débats houleux. Et si certains y voient un signal d'alarme pour l'industrie du cinéma, d'autres applaudissent cette capacité unique à attirer autant l'art que le chaos.
La Mostra aujourd'hui : un festival entre tradition et innovation
Le Lion d’or : un trophée au-delà des apparences
À l’heure où chaque festival de cinéma prétend être "le plus prestigieux", le Lion d’Or de la Mostra de Venise conserve une aura unique. Ce trophée, bien plus qu’une simple récompense, symbolise l’excellence artistique et une certaine audace cinématographique. Parmi les récents lauréats, on retrouve des œuvres marquantes comme Nomadland de Chloé Zhao ou Joker de Todd Phillips, prouvant que Venise sait marier le cinéma d’auteur et les succès populaires.
Fait intrigant : Le Lion d’Or a été introduit en 1949, mais saviez-vous qu’il existe aussi un Lion Spécial pour honorer les carrières extraordinaires ? Une distinction rare qui souligne l’importance historique du festival.
Les sections phares : Orizzonti et Venice Days
Si la compétition principale attire les projecteurs, ce serait une erreur de négliger les sections parallèles, véritables laboratoires du cinéma contemporain. La section Orizzonti (Horizons) met en lumière les formes narratives expérimentales et les nouvelles tendances. Quant à Venice Days, inspirée de la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes, elle célèbre le cinéma indépendant et engagé.
Ces sections offrent une visibilité précieuse à des cinéastes émergents tout en permettant aux spectateurs de découvrir des pépites souvent éclipsées par les grands noms. Et avouons-le : il n’y a rien de tel que de se vanter d’avoir repéré "le prochain grand réalisateur" avant tout le monde.
Section | Rôle principal |
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Compétition | Sélection officielle pour le Lion d'Or |
Orizzonti | Exploration des narrations innovantes |
Venice Days | Focus sur le cinéma indépendant |
Hors Compétition | Premières mondiales et films événementiels |
Le Palais du Cinéma : une icône sur le Lido
Surplombant majestueusement le Lido de Venise, le Palais du Cinéma est bien plus qu’un simple bâtiment. Avec sa façade blanche épurée et son tapis rouge légendaire, il incarne l’élégance italienne tout en étant le cœur battant du festival. C’est ici que défilent chaque année stars internationales et figures montantes du septième art.
Ce lieu chargé d’histoire a vu passer des légendes comme Sophia Loren ou Brad Pitt, mais abrite aussi des débats passionnés sur l’avenir du cinéma – parce qu’après tout, même sous les strass, Venise reste un lieu où l’art prime.

Aujourd’hui, la Mostra jongle habilement entre tradition et modernité. Qu’elle célèbre un blockbuster ou un documentaire expérimental, elle reste fidèle à sa mission initiale : offrir une plateforme aux visions artistiques sans compromis.
Pourquoi la Mostra reste unique
La Mostra de Venise, avec ses origines entre glamour et propagande, s'est transformée en un véritable baromètre des évolutions culturelles et sociales. Elle a su capturer les bouleversements du XXe siècle, des tensions politiques de l'après-guerre aux réformes contestataires des années 60, tout en offrant une scène à des cinémas du monde souvent ignorés. Aujourd'hui encore, avec ses sections innovantes comme Orizzonti et Venice Days, elle prouve qu'elle sait embrasser les mutations du septième art sans renier son héritage.
Ce qui distingue véritablement la Mostra, c'est sa capacité à allier glamour et réflexions profondes. Des scandales politiques aux coups d'éclat artistiques, elle n'a jamais cessé d'être un miroir des époques et un reflet du cinéma mondial. Et vous, quel film de la Mostra vous a marqué ?