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Alain Delon : Une légende du grand écran à travers les décennies

Il est l’un des plus grands acteurs de l’histoire du cinéma. Mais aussi l’un des plus détestés. Et si Alain Delon était bien plus que l’icône clivante qu’il est devenu ?

12 min
Films
10 January 2025 à 18h44

Adulé par ses pairs, conspué par ses détracteurs, Alain Delon est une énigme. Pourtant, son talent est indiscutable. Difficile de trouver un autre acteur ayant incarné autant de rôles cultes, dans autant de films cultes, réalisés par autant de cinéastes cultes. De Plein Soleil à Monsieur Klein, en passant par Rocco et ses frères, Le Samouraï ou Le Cercle Rouge, chacun de ses personnages a marqué son époque, sa carrière et sa légende. Mais surtout, chacun d’eux raconte le monde dans lequel il a été écrit. Car c’est là tout le génie d’Alain Delon : avoir été à la fois un révélateur et un catalyseur des transformations sociales, artistiques et culturelles de chaque décennie. À tel point qu’on en viendrait presque à oublier qu’il se trouve derrière la caméra. Alors, on s’est lancé un défi : raconter le mythe Delon à travers ses rôles les plus iconiques. Préparez-vous à (re)découvrir l’une des vies les plus fascinantes du 20ème siècle.

Les débuts flamboyants des années 60 : Une icône naissante

Plein Soleil : Le rôle qui a tout changé

En 1960, Alain Delon, jeune acteur au charisme magnétique, éclate littéralement à l’écran dans Plein Soleil de René Clément. Adapté du roman de Patricia Highsmith, ce thriller psychologique met en scène Delon dans le rôle de Tom Ripley, un personnage aussi séduisant que machiavélique. Face à Maurice Ronet et Marie Laforêt, il capte immédiatement l’attention par sa beauté glaciale et son ambiguïté troublante. Ce film ne se contente pas de révéler un talent brut ; il forge une image qui deviendra iconique : celle d’un homme mystérieux, insaisissable, à la fois héros et anti-héros.

Plein Soleil n'est pas seulement une prouesse esthétique ; c'est le point de départ d'une carrière où l'ambiguïté morale devient un art.

Ce rôle marque également un tournant pour le cinéma français. La performance de Delon transcende les dialogues minimalistes pour s’exprimer par des regards et des silences. C’est une déclaration d’intention : Alain Delon sera plus qu’un acteur, il sera une énigme vivante.

Alain Delon dans Plein Soleil (1960)

Rocco et ses frères : Une fresque néo-réaliste inoubliable

Quelques mois après Plein Soleil, Delon rejoint Luchino Visconti pour Rocco et ses frères. Dans ce drame social italo-français, il incarne Rocco Parondi, un jeune homme idéaliste plongé dans les conflits familiaux liés aux migrations du sud vers le nord de l'Italie. Le film est empreint du style néo-réaliste cher à Visconti, mais c’est surtout la vulnérabilité de Delon qui frappe : il offre une performance bouleversante où douceur et tragédie se mêlent.

Ce rôle confirme son statut d’acteur capable d'habiter les personnages les plus complexes. En collaborant avec Visconti, Delon entre dans une nouvelle dimension artistique. Leur alchimie créative donnera naissance à plusieurs chefs-d'œuvre dans les années suivantes.

Une collaboration fondatrice avec Luchino Visconti

La rencontre entre Alain Delon et Luchino Visconti est bien plus qu’un simple partenariat professionnel ; elle inaugure une relation mentor-disciple qui influencera durablement la carrière du jeune acteur. Avec Rocco et ses frères, Visconti révèle en Delon une profondeur émotionnelle insoupçonnée. Ce film n’est pas seulement une œuvre magistrale sur la famille et l’identité ; c’est aussi un tremplin qui propulse Delon parmi les étoiles montantes du cinéma mondial.

Les années 60 marquent ainsi l’émergence d’un acteur dont chaque choix semble calculé pour défier les conventions tout en captivant le grand public. De Plein Soleil à Rocco et ses frères, Alain Delon s’impose comme le visage d’un cinéma en pleine mutation artistique.

Les années 70 : L’âge d’or et l’apogée de sa carrière

Le Samouraï : Une incarnation du polar stylisé

En 1967, Le Samouraï de Jean-Pierre Melville impose Alain Delon comme une figure incontournable du cinéma mondial. Dans ce film néo-noir, il incarne Jef Costello, un tueur à gages méticuleux et solitaire, dont la vie est régie par un code d’honneur quasi-japonais. Ce personnage minimaliste, au costume impeccable et à l’attitude glaciale, est devenu l’archétype du héros mélancolique.

Melville utilise le silence et la tension pour sculpter une atmosphère unique. Avec Delon, il atteint une alchimie parfaite : chaque geste, chaque regard devient une déclaration. Le film influence durablement le genre du polar, jusqu’à traverser les frontières et inspirer des réalisateurs comme John Woo ou Jim Jarmusch.

Dans Le Samouraï, Delon ne joue pas un personnage : il EST le personnage. Une symbiose rare dans l'histoire du cinéma.

Borsalino : Le duo mythique avec Jean-Paul Belmondo

Trois ans plus tard, en 1970, Delon partage l’écran avec Jean-Paul Belmondo dans Borsalino. Réalisé par Jacques Deray, ce film de gangsters situé dans le Marseille des années 1930 met en scène deux truands charismatiques – Roch Siffredi (Delon) et François Capella (Belmondo). Leur rivalité amicale donne lieu à des dialogues savoureux et des scènes mémorables.

La collaboration entre les deux titans du cinéma français suscite autant d’admiration que de tensions en coulisses. Si leur complicité crève l’écran, leurs différends personnels marquent également l’histoire de cette production. Pourtant, Borsalino reste une œuvre culte qui capture parfaitement le charme rétro et la dynamique explosive de ses protagonistes.

Le Cercle Rouge : L'exploration du silence avec Melville

En 1970 encore, Alain Delon retrouve Jean-Pierre Melville pour Le Cercle Rouge. Ce film repose sur une intrigue dépouillée où tout passe par les regards et les non-dits. Delon y joue Corey, un détenu récemment libéré qui s’associe à deux autres hommes pour réaliser un braquage audacieux.

Avec son esthétique épurée et son rythme contemplatif, ce polar transcende les conventions du genre pour explorer des thématiques universelles telles que la loyauté et la fatalité. La performance de Delon est magistrale : il incarne un homme hanté par son passé mais déterminé à accomplir sa mission.

Tableau comparatif des rôles emblématiques des années 70

Film Rôle Thème principal Réalisateur
Le Samouraï Jef Costello Solitude et honneur Jean-Pierre Melville
Borsalino Roch Siffredi Amitié/rivalité Jacques Deray
Le Cercle Rouge Corey Loyauté et destin Jean-Pierre Melville

Tableau comparatif des films.

Thèmes récurrents : Polar et relations masculines complexes

Les années 70 sont marquées par l’omniprésence d’Alain Delon dans des films qui explorent les zones grises de la moralité humaine. Que ce soit dans ses collaborations avec Melville ou aux côtés de Belmondo, ses personnages reflètent souvent une quête identitaire troublée. Les relations masculines – qu’il s’agisse d’amitié ou de rivalité – occupent une place centrale dans ces récits.

Cette décennie consacre Delon comme l’incarnation vivante du cinéma français, en équilibre constant entre introspection artistique et succès commercial.

Les années 80 et 90 : Un acteur en mutation

Notre histoire : Une performance récompensée par un César

En 1985, Alain Delon reçoit son unique César du meilleur acteur pour son rôle dans Notre histoire, réalisé par Bertrand Blier. Ce film, à la croisée des chemins entre le drame et l’absurde, met en scène un Delon méconnaissable dans le rôle de Robert Avranches, un homme désabusé et alcoolique qui s’accroche désespérément à une femme rencontrée dans un train. Loin de ses personnages habituels d’hommes froids et calculateurs, il livre ici une performance vulnérable et désarmante.

Ce rôle marque un tournant significatif dans sa carrière. Si les années 70 avaient consacré Delon comme une icône du polar stylisé, les années 80 révèlent un acteur prêt à explorer des territoires plus introspectifs. Avec Notre histoire, il accepte de se mettre à nu, littéralement et métaphoriquement, pour incarner un personnage brisé mais profondément humain. Ce choix audacieux démontre sa capacité à se réinventer dans un paysage cinématographique en pleine mutation.

Le retour aux drames intimistes

Après le succès critique de Notre histoire, Delon continue sur la voie des rôles introspectifs et complexes. Il collabore avec des réalisateurs comme Jean-Luc Godard (Nouvelle Vague, 1990) ou encore Volker Schlöndorff (Swann in Love, 1984), prouvant qu’il reste une force créative majeure malgré l’émergence d’une nouvelle génération d’acteurs.

Cependant, ces choix artistiques ne rencontrent pas toujours l'adhésion du grand public. À une époque où le cinéma devient de plus en plus dominé par les blockbusters internationaux, les films intimistes auxquels Delon prête son talent peinent parfois à trouver leur audience. Mais cette période lui permet d'explorer des thématiques profondes comme l’identité, la mémoire ou encore la solitude.

Une anecdote marquante sur sa méthode

Lors du tournage de Notre histoire, Alain Delon aurait insisté pour vivre plusieurs jours dans un état d’isolement total afin de mieux comprendre la psyché tourmentée de Robert Avranches. Il évitait tout contact avec l’équipe technique entre les prises, préférant rester plongé dans son rôle même hors caméra. Cette immersion totale témoigne de son dévouement artistique intransigeant – une qualité qui a souvent divisé ses collaborateurs mais contribué à forger des performances inoubliables.

Les années 80 et 90 montrent un Delon plus introspectif que jamais, prêt à sacrifier son image pour incarner des personnages en quête de sens.

Si cette période est moins prolifique en termes de succès commerciaux, elle reste essentielle pour comprendre l’évolution artistique d’Alain Delon. Dans un cinéma en constante transformation, il choisit l’intégrité artistique plutôt que la facilité.

Une légende toujours vivante : L’héritage d’Alain Delon

Monsieur Klein : Un rôle qui questionne l’identité

En 1976, Alain Delon incarne Robert Klein dans Monsieur Klein, un film de Joseph Losey qui explore les méandres de l’identité et la culpabilité en pleine France occupée. Ce rôle, moins spectaculaire mais d’une intensité rare, résume parfaitement l’évolution d’un acteur devenu synonyme de profondeur psychologique. Delon y joue un marchand d'art opportuniste qui découvre qu'il est confondu avec un homonyme juif recherché par la Gestapo. Cette descente aux enfers révèle une facette inattendue de son jeu : une capacité à insuffler un malaise subtil et persistant.

Le film, salué par la critique, a laissé une empreinte indélébile sur le cinéma grâce à son traitement audacieux des thèmes identitaires. Aujourd'hui encore, des cinéastes comme Paul Thomas Anderson ou Denis Villeneuve citent Monsieur Klein comme une source d’inspiration majeure pour sa manière d’utiliser le suspense pour aborder des questions existentielles.

Alain Delon dans Monsieur Klein.

L’influence d’Alain Delon sur le cinéma contemporain

Alain Delon, c’est plus qu’un acteur : c’est une grammaire visuelle, une icône intemporelle dont l'ombre plane sur plusieurs générations de réalisateurs. Les univers introspectifs et minimalistes de ses collaborations avec Melville trouvent aujourd’hui un écho évident dans des œuvres comme Drive (2011) de Nicolas Winding Refn. Ryan Gosling lui-même a admis s’être inspiré du personnage de Jef Costello (Le Samouraï) pour construire son propre anti-héros taciturne.

Delon avait cette capacité unique à transformer chaque silence en un cri assourdissant, confie Refn dans une interview récente.

De même, des réalisateurs européens tels que Luca Guadagnino ou Pedro Almodóvar continuent de revisiter les archétypes incarnés par Delon – hommes beaux mais brisés, pris au piège entre leurs désirs et leurs devoirs. La modernité de ces figures réside dans leur ambiguïté morale, un héritage direct du travail pionnier entrepris par Delon avec des cinéastes comme Visconti ou Losey.

Quand le style devient substance

Au-delà du jeu, il y a aussi le style inimitable d'Alain Delon – costumes impeccables, regards énigmatiques – qui inspire toujours autant. Dans La Piscine (1969), ses chemises blanches ouvertes sur la peau bronzée ont redéfini les codes masculins au cinéma. Aujourd’hui encore, cette esthétique influence la mode masculine et alimente les campagnes publicitaires de grandes maisons comme Dior ou Saint Laurent.

L’héritage d’Alain Delon ne se limite donc pas à ses performances ni même au cadre strictement cinématographique. Il incarne une vision artistique où chaque détail compte, où chaque choix – aussi bien narratif que visuel – participe à créer des œuvres intemporelles.

Le mythe Delon, entre ombre et lumière

Alain Delon est bien plus qu’un acteur : il est une énigme, une étoile filante qui a traversé les époques sans jamais perdre son éclat. Des années 60 à ses collaborations mythiques avec Visconti ou Melville, en passant par des rôles audacieux comme celui dans Notre histoire, chaque décennie a vu Delon redéfinir les contours du cinéma français et au-delà. Mais derrière l’icône se cache aussi l’homme, complexe et souvent controversé, dont le parcours reflète les tourments d’une époque.

Alors que son influence continue de résonner dans le cinéma contemporain et la mode, une question demeure : comment les générations futures interpréteront-elles l’héritage de ces figures intemporelles ? Peut-être est-ce là le véritable mystère d’Alain Delon – une présence indélébile qui nous invite à repenser sans cesse la notion même de légende.

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